Après quatre années d’existence, c'est avec une pointe d’émotion que nous annonçons la fermeture de Nova Kutimo. Une décision réfléchie, bien que difficile, qui fait suite à une série d'événements. Dans cet article, on vous raconte comment on en est arrivés là et ce qu'on a appris au fil de ce projet entrepreneurial.
Le début de l’aventure.
Nous avons lancé ce projet en 2019, animé-es par l'amour du centre-ville et des petits commerces qui nous ont marqués étant plus jeunes.
La flamme du projet s’est vraiment allumée en 2018, après avoir visionné un documentaire marquant sur les conséquences du transport en cargo. Nous voulions prouver qu’il était possible de proposer des marques ultra quali, à forte identité, en sourçant uniquement en Europe.
Au départ, tout s’est déroulé comme prévu : un plan de financement complexe monté sans accroc, un prêt bancaire obtenu dès notre première demande, un bail signé rapidement, toutes les autorisations de travaux obtenues dans la foulée.
Les embuches.
Puis est arrivé le Covid.
Nous venions tout juste de signer notre bail et de démarrer les travaux. Nous avons échappé de peu à la flambée des prix du bois et aux pénuries de matériaux.
En jonglant entre les couvre-feux et nos obligations familiales, nous avons terminé le chantier avec trois mois de retard (et on me dit dans l’oreillette que le budget travaux a doublé au passage).
Nous avons ouvert dans des conditions assez particulières : masques, pass sanitaire…
Puis une fraude depuis l’Angleterre sur notre compte pro.
Ensuite, notre sous-traitante pâtissière a cessé notre collaboration.
Les premières angoisses de commerçant-es sont arrivées.
Vint le tour d’un problème majeur qui nous aura suivi jusqu’ici : une taxe foncière* deux fois plus élevée que celle annoncée dans notre bail.
Avec une trésorerie déjà fragilisée, cette charge imprévue est devenue un fardeau dur à porter.
Puis au fur et à mesure des mois, nous nous sommes rendu-es compte de certaines de nos erreurs : comme choisir un local excentré en comptant sur la puissance des réseaux sociaux pour déplacer les foules.
Nous avons eu la naïveté de croire que la qualité et l’originalité de nos produits suffiraient à faire parler de nous. Que les client-es viendraient naturellement, qu’iels raconteraient leur découverte autour d’elleux. Que nenni.
La décision.
À la fin de la 3e année d’un bail commercial, un commerce peut théoriquement déménager sans devoir d’indemnité au bailleur.
Nous avions envisagé cette possibilité, sans pouvoir l’activer à cause de cette fameuse taxe foncière, que nous n’arrivions jamais à provisionner.
Nous avons continué à travailler, toujours plus fort, jusqu’à mettre en danger notre santé mentale.
Fin 2024, après être tombée sur la liste des symptômes du burnout je me rends compte que nous sommes en plein dedans. Ce qui m’a mise la puce à l’oreille ?
Nous n’avons rien ressenti lors de notre deuxième bris de vitrine. Rien.
Le burnout, bien que très à la mode, est finalement assez mal connu.
Un petit rappel de ce qu’est un “burnout mindset” :
Un sentiment constant de ne pas en faire "assez", malgré des efforts incessants et qui nourrit un cercle vicieux. On devient de plus en plus exigeant-e avec soi-même, pour répondre à une pression de performance et de productivité, souvent exacerbée par les réseaux sociaux. Cela mène tout droit à une surcharge de travail, un sentiment de manque de reconnaissance, une insatisfaction de plus en plus grande même lors des réussites, créant un épuisement mental et physique. Ce phénomène est souvent lié à une prédisposition au perfectionnisme qui nous pousse à aller au-delà de nos limites.
On commence l’année 2025 en se promettant de nous remettre au centre de nos priorités, on lâche du lest.
Début 2025, on comprend enfin.
Après des semaines d’enquête, nous découvrons que la taxe foncière que nos bailleuses nous re-facturent est surévaluée. Preuves à l’appui.
Nous payons en fait la taxe de notre local... et celle d’une partie du local voisin.
La goutte de trop.
Nous voulons partir de notre local et ouvrons les négociations avec nos bailleuses.
Nous obtenons rapidement un rendez-vous qui se passe mieux que prévu.
L’erreur dans la répartition des surfaces est reconnue.
Les bailleuses acceptent que nous partions dans un délai de trois mois, sans compensation à leur devoir, sans reprise de bail, sans solidarité sur les loyers futurs, et avec l’annulation de la dette liée à la taxe foncière erronée.
C’était le jour de mes 40 ans. On l’a pris comme un cadeau de l’univers.
Youpi.
Mais une semaine plus tard, tout est annulé par courrier recommandé.
Nos bailleuses reviennent sur leurs engagements. Elles acceptent toujours un départ anticipé, mais réclament la totalité de la taxe foncière… y compris celle de l’année en cours.
Il a fallu se résoudre.
La seule option possible : mettre fin à Nova Kutimo.
Notre priorité aujourd'hui est de tout régler de manière juste et transparente.
Payer nos fournisseurs. Ne léser personne.
Et dans tout ça, une chose nous tient particulièrement à cœur : que ce soit nos client-es, qui rachètent nos produits — plutôt que de les voir vendus aux enchères à bas prix.
Nous avons donc décidé d’organiser un grand déstockage.
Une manière de faire honneur à toutes les marques avec qui nous avons collaborer et de vous dire merci.
Ce qu'on a appris.
On croyait savoir à quoi nous attendre en devenant commerçant-es. La réalité s’est révélée bien différente.
Au-delà de la révolution de l’achat en ligne, largement accélérée après le Covid, c’est tout un écosystème qui s’est transformé. Les habitudes ont changé, les règles aussi. On a aujourd’hui pas mal de théories là-dessus !
Même si nous avions déjà été indépendant-es auparavant, cette fois-ci il a fallu apprendre à gérer un budget dans une logique complètement différente. Certains a priori sont vite tombés, remplacés par une compréhension plus concrète de ce que cela implique, au quotidien, de faire tourner un commerce.
On a découvert l’envers du décor : un métier aux multiples facettes, exigeant en énergie, en implication, et en résilience. Assez loin du rythme des générations précédentes qui nous servaient de modèles dans nos mémoires.
Et on en profite pour dire que contrairement aux idées reçues, ce n’est pas un métier idéal pour les personnes à la vie sociale riche : la boutique isole beaucoup.
On a appris à mener plusieurs chantiers à la fois, à se projeter sur l’année entière, à vivre au rythme de la ville. On a appris à nous battre pour ce qui nous semble juste, parfois bien au-delà de ce qu’on pensait être capable d’encaisser.
On a vu de quoi on était fait-es.
Ce qui vient après.
Parce que la suite, il y en a une.
Le site ne disparaît pas : il deviendra un espace collaboratif dédié à la mise en avant d’artistes, de projets et un lieu d’échange autour de l’entrepreneuriat.
Vous pourrez continuer à découvrir avec nous les talents du futur, et qui sait peut-être la recette de nos gâteaux.
On espère ne pas tomber trop vite dans vos oubliettes, et que vous serez nombreux-ses à exaucer notre dernier souhait : être là pour notre grand déstockage.
Sarah & Nicolas
*La loi autorise les propriétaires de locaux commerciaux à refacturer leur taxe foncière aux locataires.